« TOULOUSE A LE CŒUR ESPAGNOL »

Manifestation commémorative et festive d’hommage
à la Deuxième République Espagnole et aux Républicains Espagnols

Place du Capitole de Toulouse - dimanche 9 avril 2006

Intervention de Monsieur Narcis Falguera
Président de l’Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France – FFI,
porte-parole des trois associations :

l’Association des Anciens Aviateurs de la République Espagnole,
l’Association d’Anciens Combattants et Victimes de Guerre de la République Espagnole, l’Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France – FFI



Monsieur le maire de Toulouse, Monsieur le maire-adjoint de Barcelone, Monsieur le président du Conseil général, Mesdames et messieurs les élus, Mesdames et messieurs les présidents d’associations, Mesdames et messieurs,

Chers amis, chers compatriotes, chers camarades,

¡ Queridos amigos, queridos compatriotas, queridos camaradas !

 J’ai le très insigne honneur d’intervenir au nom des associations d’anciens combattants républicains espagnols qui, conjointement avec vous, sont à l’origine de ce magnifique rassemblement, sur la grande place (¡ la plaza mayor !) de la capitale de l’exil républicain espagnol.

Aujourd’hui, nous célébrons le 75e anniversaire de la proclamation de la Deuxième République espagnole.

Chers amis, queridos compatriotas, le 14 avril 1931, une partie des plus âgés d’entre nous vivions en Espagne. Nous gardons au cœur, indélébile à jamais, l’émotion de cette journée, ô combien historique, de cette nouvelle espérance.

En 1931 l’Espagne comptait 24 millions d’habitants. La moitié était analphabète. On estime qu’un tiers de la population survivait dans la misère. Deux millions d’agriculteurs n’avaient pas la moindre parcelle à eux tandis que 20.000 personnes détenaient la moitié des terres cultivables.

 Le 12 avril 1931, les élections municipales donnèrent la victoire aux Républicains. Le roi Alphonse XIII s’en alla. Le 14 avril, la République fut proclamée pacifiquement… sans un coup de feu !

 Voici 75 ans, l’avènement de la Deuxième République Espagnole, traduisait la volonté de progrès social et démocratique des peuples d’Espagne.

 Sa constitution, adoptée le 9 décembre 1931, instaurait le suffrage universel, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’école laïque gratuite et obligatoire. Avec une grande avance sur bien d’autres pays, la Deuxième République espagnole instituait le droit de vote pour les femmes, proclamait l’autonomie des régions ainsi que le droit à l’usage et à l’enseignement des langues régionales.

 L’intérêt populaire pour ce programme, la promesse d’une authentique réforme agraire, l’aspiration à plus de justice sociale et de liberté, provoquèrent un bouillonnement politique et culturel sans précédent en Espagne.

 Ce programme, ces réformes, ces valeurs démocratiques se heurtèrent aux tenants de l’ordre établi, oppresseur, inégalitaire et obscurantiste.

 Voici 70 ans, le 18 juillet 1936, des généraux félons se soulevèrent contre le gouvernement légal de la République. Activement soutenue par les régimes hitlérien, mussolinien et salazariste, facilitée par la politique dite de « non intervention » des gouvernements britannique et français de l’époque, la « croisade » conduite par Franco plongea l’Espagne dans une guerre meurtrière de près de 3 ans.

 Voici 70 ans, les républicains espagnols furent les premiers à résister les armes à la main au fascisme qui allait bientôt submerger le reste de  l’Europe.

 Très tôt, ils reçurent l’appui de plusieurs dizaines de milliers de volontaires venus du monde entier. Beaucoup de ceux qui allaient constituer les Brigades Internationales passèrent par Toulouse.

 C’est pourquoi ici, 70 ans après, sur cette place du Capitole qu’ils laissèrent derrière eux, je veux saluer leur mémoire. Je veux saluer notamment les 9.000 brigadistes venus de France (et de ses colonies d’alors), ces frères généreux dont 2.500 tombèrent sur le sol de notre patrie.

 A titre symbolique permettez-moi de saluer - ici, au premier rang -, Vicenzo Tonelli, qui, maçon à Toulouse, partit pour l’Espagne à l’été 36 alors qu’il avait à peine 19 ans ; il devint lieutenant dans la Brigade Garibaldi. Et aussi Jesús García, le porte-drapeau - ici, tout devant - qui combattit dans la Brigade Commune de Paris.

 Manquant de façon dramatique d’équipements militaires (tanks, avions, canons), la Deuxième République Espagnole finit par succomber.

 En février 1939, lors de la Retirada, des centaines de milliers de républicains se réfugièrent en France pour échapper à la répression. Nombre d’entre eux furent enfermés dans les camps de concentration, c’est ainsi qu’ils s’appelaient, du Sud-Ouest : Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien, Le Barcarès, Agde, Le Vernet d’Ariège, Gurs, etc.

 Le 1er avril 1939, une chape de plomb s’abattit sur l’Espagne.

 Cinq mois plus tard, à peine, la France subissait à son tour l’agression du fascisme européen.

 Et le 10 juillet 1940, soit à peine plus d’un an après la défaite de la République Espagnole, la République Française, en butte aux mêmes adversaires, abandonnée par un grand nombre de ses parlementaires, disparaissait à son tour.

 Contre « L’État Français » du maréchal Pétain et contre l’Occupation vint le temps de la Résistance, en France même et à l’extérieur, notamment à Londres avec le Général De Gaulle. Une large part des combattants d’Espagne s’engagea très tôt pour la liberté de la France, comme pour celle de l’Espagne.

 Présents très tôt, sur tous les fronts, les républicains espagnols payèrent un très lourd tribut.

 Dès 1939, à partir même des camps de concentration français, puis des Compagnies et Groupements de Travailleurs Étrangers, dans les campagnes, sur les chantiers, dans les usines, où ils étaient mobilisés pour travailler, les Espagnols s’organisèrent.

 A la fin 1939, la police française tenta de renvoyer de force des trains entiers d’Espagnols réfugiés. Dés que la France fut occupée, les persécutions empirèrent. Comme l’a souligné récemment M. le ministre Douste-Blazy devant le roi d’Espagne, ce dont nous le remercions, la police de Vichy (sous les ordres notamment de René Bousquet) a livré de nombreux Espagnols à l’occupant nazi qui les a déportés vers l’Allemagne. Et des milliers n’en revinrent jamais.

 En dépit de la répression, un peu partout en France, dans des dizaines des départements, de la Bretagne à la Savoie, de la Région parisienne aux Pyrénées des milliers de républicains espagnols constituent ou rejoignent des réseaux de résistance.

 Ils sont aussi en première ligne dans les régiments de la France Libre, constitués en Afrique. Certains débarquent en Normandie et en Provence. D’autres combattent avec les partisans soviétiques.

 Ils sont de ceux qui lancent l’insurrection parisienne sous le commandement du brigadiste Henri Rol-Tanguy. Ils sont de l’avant-garde de la division Leclerc qui entre dans Paris insurgé. Ils sont de ceux qui traversent le Rhin jusqu’à atteindre le nid d’aigle d’Hitler.

 Saluons la mémoire de trois héros parmi des milliers. Celle de Conrado Miret Musté, premier chef de la résistance armée espagnole en France, premier chef des groupes de combat de la MOI, mort sous la torture, à Paris, le 27 février 1942.

 Saluons aussi la mémoire de Marcel Langer, combattant des Brigades internationales, qui reprit les armes, avec la MOI encore, ici à Toulouse, et qui fut guillotiné à la prison Saint-Michel, le 23 juillet 1943. Merci, M. le Maire d’avoir décidé que, sur le lieu de son supplice, la station de métro s’appellerait Saint-Michel-Marcel Langer (photo 1, photo 2).

 Saluons la mémoire de Francisco Ponzán-Vidal, organisateur d’un réseau d’évasion et de passeurs, qui fut fusillé le 17 août 1944, tout près d’ici à Buzet-sur-Tarn. avec plusieurs dizaines d’autres résistants, arrachés de cette même prison Saint-Michel à la veille de la Libération.

Voici 60 ans, après la joie de la Libération, après la joie de la Victoire, l’espoir était grand à nouveau.

 Les combats de la Résistance et pour la Reconquista de España continuèrent au sud des Pyrénées. L’Organisation des Nations Unies créée à la fin 1945, déclara dés février 1946 puis en décembre 1946 que « le régime franquiste » était « un régime fasciste calqué sur l’Allemagne nazie d’Hitler et l’Italie fasciste de Mussolini et institué en grande partie grâce à leur aide » attestant de la solidarité des peuples du monde.

 Mais en 1946 comme en 1936, à dix ans d’intervalle, une nouvelle politique de « non intervention », inavouée celle-là mais tout aussi néfaste, allait l’emporter une deuxième fois. Cette politique funeste valut aux Espagnols trente ans d’oppression supplémentaires.

 Après guerre, les maquis constitués un peu partout en Espagne, furent traqués et décimés. Des centaines de milliers d’Espagnols croupirent dans les camps et les prisons franquistes. Entre 1939 et 1945, plus de 200.000 démocrates furent assassinées en Espagne. Depuis Cristino García, jusqu’à Puig Antich, en passant par Julián Grimau, que de crimes en Espagne jusqu’au dernier souffle du dictateur !

 En vue d’enterrer définitivement la République, dès 1947, Franco rétablit le régime monarchique et s’attacha à verrouiller sa succession.

 Tout ceci fait partie de l’Histoire, de notre Histoire commune. Il faut la mettre à jour (car elle est souvent mal connue, parfois occultée ou calomniée) et la méditer.

 Aussi, nous sommes très heureux que le 15 mars 2006 les représentants des 46 pays formant le Conseil de l’Europe aient adopté, à l’unanimité, une résolution qui condamne fermement « les multiples et graves violations » des droits de l’Homme en Espagne entre 1939 et 1975 et appelle le gouvernement espagnol à élever des monuments pour les victimes du franquisme.

 Pendant cette longue nuit de près de 40 ans, Toulouse servit de base arrière pour reconstruire les syndicats et les partis démocratiques qui allaient jouer un rôle-clef dans la longue marche vers la sortie de la dictature. Aujourd’hui les peuples d’Espagne, après beaucoup de souffrances et de luttes, continuent d’avancer.

 La République espagnole a semé partout des graines de justice et de solidarité, de courage et de dignité qui fécondent encore le présent et qui préparent l’avenir.

Chers vétérans de la guerre d’Espagne,

chers amis français qui nous avez soutenus, accueillis, défendus,

 Honneur à vous !

 Je tiens à remercier très chaleureusement, Monsieur le Maire de Toulouse, pour sa volonté et son énergie qui ont rendu possible cet hommage sans précédent ; je tiens à le remercier au nom de tous les nôtres, pour le respect et l’affection qu’il porte à nos souffrances et à nos morts, à notre histoire et à nos idéaux,

 Que vivent à jamais ces idéaux de la IIe République espagnole !

Liberté, Égalité et Fraternité pour les peuples de France et d’Espagne !

Que vive à jamais le souvenir des combattants de la Liberté,

¡ Que viva hasta siempre el recuerdo de los combatientes de la Libertad !