Résistance à Mauthausen
 

N'étant pas historien, ni même tellement fort en Histoire, je ne prétends pas expliquer ce que fut la Résistance dans les camps de concentration hitlériens. 

Mais je peux raconter celle que j'ai vécue et exprimer les sentiments qu'elle m'inspire.

En arrivant au camp, il ne fallait pas bien longtemps pour s'apercevoir que les hitlériens cherchaient à nous détruire, moralement d'abord, et physiquement ensuite. 

Le tout avec méthode.

Certes, nous avons produit des bénéfices encaissés par les société gérées par les SS. Nous avons servi de cobayes à toutes sortes d'expériences, pseudo-médicales et pseudo-scientifiques. 

Mais les hitlériens se sont acharnés beaucoup plus à notre liquidation qu'à l'utilisation de nos compétences, intellectuelles ou physiques.

Tout problème bien posé étant déjà en partie résolu, nous connaissions donc l'agression qui nous guettait, et de ce fait la direction de notre résistance: conserver notre dignité, conserver notre vie.

Notre apport à l'affaiblissement des troupes que Hitler pouvait engager contre les Alliés ne devait pas être négligeable, même à notre insu. C'est aux Historiens de le dire, bien que lorsqu'on pense au nombre de soldats de la soi-disant élite utilisés à la surveillance des camps, aux transports de déportés, aux administrations concentrationnaires etc..., les Alliés peuvent nous savoir gré des troupes que nous fixions et immobilisions autour de nous.

Mais la Résistance que j'ai connue n'a pas eu la prétention de faire autre chose vers l'extérieur du camp. Elle cherchait, à tout prix, la sauvegarde de la vie et de l'intégrité des déportés. 

 À ma connaissance, le premier groupe de résistance bien structuré fut créé en Juin 1941, lorsque pour faciliter les travaux de désinfection du camp, tous les déportés furent parqués dans une cour, nus, sous le regard et la surveillance continue des SS et de leurs mitrailleuses. 

Cette promiscuité fut mise à profit par des camarades d'un passé imprégné d'anti-hitlérisme et d'un présent confiant en la victoire des Forces Démocratiques et de Paix, pour unifier la direction des divers mini-groupes qui existaient déjà.

Organiser la Résistance, lorsque l'on n'a rien d'autre qu'un amour total pour la Liberté et l'espoir que les troupes hitlériennes, malgré les victoires de l'époque, seraient écrasées, nécessitait un courage dont il faut remercier les camarades qui l'ont eu.

Face à cette volonté de résister, il y avait la faim, la maladie, les intempéries (aussi meurtrières en été avec ses insolations qu'en hiver avec ses - 20º), les SS, les capos, les chefs de baraque, les chiens, les "mouchards", et, ne jouant pas toujours un beau rôle, l'esprit de conservation.

La Résistance commença par organiser la solidarité. Solidarité qui pouvait être exceptionnellement un peu de nourriture donnée par les autres camarades (que donner d'autre? Personne n'ayant rien). En faisant sentir aux camarades contactés que la présence d'une organisation de résistance était déjà un gage sur la victoire. En conseillant les nouveaux arrivés, les anciens parrainant les nouveaux venus au camp ou aux commandos de travail. Cette dernière action était très efficace, car un nouveau arrivé, s'il n'avait personne pour le guider, était presque toujours la proie des capos. 

Toujours dans la plus grande clandestinité, et au fur-et-à-mesure que l'Organisation grandissait et se renforçait avec des camarades de toutes nationalités, les ambitions croissaient et la Résistance s'attaqua aux structures mêmes du Camp.

Nous vîmes que la gestion interne, qui avait été gérée pendant très longtemps par des détenus de droit commun (triangle vert) passait partiellement aux mains des déportés aux triangles rouges (politiques opposants à l'Hitlérisme).

Ce n'est pas pour autant que le danger disparaissait. Mais grâce au sacrifice auquel s'exposaient les camarades de l'Organisation Internationale de Résistance, nous savions où en étaient les opérations militaires, nous connaissions les progrès des troupes alliées, nous savions où devaient aller les commandos qui seraient formés. Nous apprîmes même l'ordre d'extermination de tous les camps que les SS devaient exécuter avant l'arrivée des troupes
libératrices.

 Des camarades médecins purent exercer dans les infirmeries et sauver nombre de déportés destinés aux fours crématoires. D'autres eurent l'occasion de travailler dans les magasins, dans les cuisines des SS, au nettoyage des chambres de SS, de la "Kommandatur", dans les ateliers de menuiserie, d'électricité, de chaussures. Et partout, les camarades contribuaient à leur tour à sauver ceux qui restaient encore dans des commandos sans ressources. 

Il y eut même des camarades qui rentrèrent à l'armurerie des SS et qui, au plus grand péril de leur vie, volèrent des armes qui purent rentrer au Camp avec l'aide d'autres camarades de la Résistance.

Ces armes purent être camouflées sous le plancher d'une baraque, grâce à la complicité des responsables, eux-mêmes membres de la Résistance.

Des camarades travaillèrent également au laboratoire photographique des SS. C'est grâce à eux et à la Résistance que le monde entier connaît aujourd'hui les témoignages hallucinants des fusillades, des matraquages, des pendaisons, des visites de personnalités nazies, des électrocutés, de la barbarie enfin, que les SS et leurs valets firent peser sur le Camp.

Des camarades travaillèrent au Politisch Abteilung et firent ainsi sauver une grande partie des archives du Camp.

Et il exista le groupement militaire. Avec un commandement international unifié, au mépris total de leur existence, quelques centaines de combattants chevronnés s'étaient engagés à tout faire pour assurer la sauvegarde d'un maximum de déportés.

Les objectifs de chacun étaient prévus, calculés méticuleusement par des officiers hautement qualifiés. Chaque combattant connaissant à fond son parcours, les obstacles qu'il rencontrerait, les armes et matériels dont il disposerait. Il y eut même des "manoeuvres" minutées par le Commandement, pour vérification du bien-fondé des opérations.

Nous pouvons dire heureusement, et très probablement parce que cet appareil militaire existait, qu'à la fin les SS en eurent la crainte, la libération du Camp arriva sans action particulière de ceux-ci. Mais il n'empêche qu'immédiatement la Résistance du Camp en prenait la défense et la gestion, et le rapatriement put se faire sans trop de dégâts. 

La Résistance exista dans tous les camps. Mais il ne faut pas chercher des similitudes dans les détails, parce que chaque déporté a vécu "sa" déportation.

Chaque commando était "un" commando. Chaque Camp était "un" Camp; déportés, commandos, camps étant aussi dissemblables que les empreintes digitales humaines.

Dans de telles conditions, ce dont il faut tenir compte, c'est la véracité des récits qui peuvent être écrits, en sachant pertinemment qu'ils sont vrais, mais qu'étant le fruit d'expériences personnelles, ils ne peuvent en aucun cas prétendre être des réflexions de synthèse. 

Cette tâche est dévolue aux Historiens. 
 

Miquel Serra i Grabulosa - (1921-1989)
(Mauthausen 4.715) 

 
 
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