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Pleines aux as mais en panne d'audace :

malgré des bénéfices croissants,

les entreprises françaises n'investissent pas.

Par Laurent MAURIAC
lundi 10 janvier 2005

les bénéfices s'accumulent, les caisses des grandes entreprises françaises sont pleines à craquer. Toutefois, ce qui pourrait être une bonne nouvelle pour l'économie en est une pour leurs seuls actionnaires. En effet, plutôt que d'investir ou d'embaucher ­ ce qu'on pourrait attendre d'elles ­, les firmes préfèrent distribuer à tour de bras des dividendes exceptionnels et racheter leurs propres actions. Vendredi, c'était Bouygues et Unibail qui gratifiaient leurs actionnaires d'un «superdividende». Dans le même temps, l'investissement en France ne décolle pas et la croissance s'enraye.

«Aversion au risque». Cette situation pour le moins paradoxale commence à alarmer les économistes et même les milieux financiers. Elle dévoile un «capitalisme sans projet» (selon l'expression de Patrick Artus, responsable des études chez Ixis, la banque d'investissement des caisses d'épargne). Pour Cheuvreux, une entreprise d'investissement, membre du groupe Crédit Agricole, les groupes français sont sous l'emprise d'une «aversion au risque» et ont une manière «frileuse» d'utiliser l'argent qu'elles amassent. Se met ainsi en place une économie de rente, un capitalisme figé, en boucle sur lui-même, obnubilé par la réduction des coûts et oublieux de l'innovation.

Et pourtant, les entreprises ont largement de quoi investir. Déjà, en 2003, les bénéfices avaient atteint des sommets. L'année 2004 amplifie la tendance, conséquence des plans de restructuration mis en place ces dernières années, des coupes budgétaires et des gains de productivité. Mais voilà : les groupes, aujourd'hui largement désendettés, n'osent pas. Même les opérations de croissance externe (rachats d'entreprises) sont peu nombreuses. Les investissements des entreprises non financières ont fléchi de 1,1 % au troisième trimestre et l'Insee estime, dans sa dernière enquête de conjoncture industrielle (en novembre), qu'ils baisseront de 3 % en 2005 dans l'industrie. «Les entreprises sont prises dans une logique de court terme dangereuse, estime Marc Touati, économiste à Natexis Banques populaires. Si une entreprise n'investit pas, demain, elle est moins compétitive, et après demain, elle disparaît.»

Pour expliquer ce blocage, les économistes évoquent d'abord la conjoncture : une demande avachie, la hausse de l'euro, les fluctuations des cours du pétrole. Il y a autre chose cependant : la chasse à l'actionnaire, l'obsession du cours de Bourse. Les groupes n'ont pas fini d'expier les excès de la bulle Internet. Beaucoup investissaient alors à tort et à travers. De la frénésie au gel, il y a néanmoins une constante : la dépendance vis-à-vis des marchés financiers. Qu'il s'agisse d'investir n'importe comment dans l'Internet, de se désendetter à marche forcée ou de redistribuer des liquidités aux actionnaires, les entreprises obéissent. D'autant plus facilement que ces mêmes marchés continuent d'exiger des taux de retour sur investissement difficiles à atteindre dans la conjoncture actuelle.

Dilapider. Hier comme aujourd'hui, «la règle imposée par les marchés n'a pas de lien avec la réalité économique», plaide Marc Touati. En théorie, ces derniers sont au service des entreprises ; en réalité, c'est désormais le contraire. Alors que gonflent les profits, «la question de la diffusion de cette accumulation de cash flow dans l'économie reste cruciale pour la pérennité de la croissance», note Cheuvreux dans une étude publiée en septembre. L'année 2005 est décisive : les entreprises peuvent continuer de dilapider leur trésor de guerre pour faire plaisir à leurs actionnaires. Ou le consacrer à leur développement.

 
 
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